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vernissage hurlé en faveur de Sade

  • René Wierschowski : Textes

le cœur en fièvre et le corps démoli
avec cette formidable envie de vivre
ce rêve en nous avec son cri à lui
quelque chose de ….
Michel Berger – 1985 - Tennessee

La scène se passe au C.I.P.M. (Centre International de Poésie de Marseille), en rez-de-
chaussée de La Vieille-Charité, quartier du Panier, 13002 Marseille.
Le conférencier introduit la soirée :
« Il n’y a plus de poésie
La poésie est morte
Il ne peut plus y avoir de poésie
Passons, si vous le voulez, au buffet »
Comme à chaque soirée, les gens sont sympas, et instruits. Comme à chaque soirée, le buffet
est arrosé d’un vin rosé qui n’est pas très bon, acheté au coin de la rue. Chacun rentre chez
soi, pleurant la perte du bonheur des mots, colportant le deuil annoncé.
Au petit matin le technicien de surface comorien après avoir sifflé les restes de vin rosé aux
fonds des gobelets abandonnés pousse le balai et la serpillière, comme chaque matin, il
déambule dans les locaux de la vieille, très vieille et très ancienne charité, il chantonne :
« Le vide qu’ils ont voulu me mettre
Ce n’est pas le mien
Le vide qu’ils m’ont donné pour maître
Ce n’est pas le mien
L’humanité trime à combler un vide
Qui n’est pas le sien
Ce vide
Je vais le relayer
Sur ta gueule de con
Je vais le balayer
Le vide
Je n’ai plus peur
Je vais promener poussière sable et gravier
Tout autour du chœur de l’ami Puget né au quartier
Je rencontrerai des frères et des sœurs
Sœurs bâties comme des filles
Frères campés comme des garçons
Je n’ai plus peur
C’est ma chanson »

Demeuré caché derrière un pilier, Etienne, le bon Etienne de La Boétie, fauche le balai et la
serpillière du gueux chantant et s’enfuit en hurlant :
« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, ils ne sont grands que parce que
nous sommes à genoux, ils ne sont … »

Plongé dans sa méditation quant à la disparition de ses outils de travail, le technicien de
surface bouscule violemment sans le voir un redoutable personnage bizarrement paré, c’est
Maximilien de Robespierre, qui le cul par terre s’exclame :
« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour
chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs  »
« Insurrectio ? Insurrectio ?, s’interroge Julien Blaine, le fondateur des lieux, le droit de
s’élever est sacré, c’est le plus indispensable de mes devoirs »
Joignant le geste à la parole, Julien demande au technicien de surface de lui faire la courte
échelle, avec son aide il s’insurge jusqu’au sommet de la coupole ovoïde de la chapelle
Puget. Inspiré par la forme du lieu qui l’héberge, il acclame, perché tout au sommet de
l’édifice :

« Ô »

Le technicien de surface s’interroge : « La poésie étant déclaré morte, et le vin rosé me créant
des maux digestifs, cet accent circonflexe n’est-il pas de trop ? »

Il veut interpeller Julien qui est désormais en plein débat avec Maximilien. Julien s’est
déshabillé entièrement et Maximilien lui enveloppe le sexe avec des feuilles de châtaignier
fixées solidement par des liens de raphia authentique. Julien est assez inquiet et surveille son
partenaire, pour le cas où il aurait dissimulé une guillotine à l’abri des regards. Tout se passe
bien, il s’agit de faire la promotion écologique du premier préservatif entièrement naturel
sans matières plastiques sans complexes pétrochimiques et sans pesticides. Puis Julien se
peint vivement le corps en bleu, oui, mais bleu Klein. Dans sa précipitation, l’accent
circonflexe chute dans la cour, sans se presser, dans le plus grand silence. Etienne muni d’une
casquette de chef de gare réapparaît muni du balai volé, il chasse l’accent déchu hors de la
cour, tout en hurlant :

« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, ils ne sont grands que parce que
nous sommes à genoux, ils ne sont … »

Un grand bonhomme, un mètre quatre-vingt ou plus, athlétique, traîne du grisonnant, du front
dégarni, dans une chevelure noire assez bien taillée derrière les oreilles ; Il en a deux , il
s’avance perché sur un char à banc, deux roues bien ferrées plus hautes que lui, au milieu de
la cour. Il immobilise tendrement le mulet qui le conduit là, lance ses pieds bottés de boue et
de sang coagulé résistant au lavage, jusqu’à ce qu’il atteigne le sol, balance un long bras
sous le banc, il saisit un pot de peinture rouge où nage un pinceau plus qu’usagé.
Le grand, planté comme un rocher devant la façade nord entrecoupée d’arcades élégantes,
écoute à nouveau l‘Etienne qui déclame, radote, d’un geste ample il trace au pinceau de
grandes lettres sur un crépi ancien qui ne s’y prête pas.
Après quelques minutes de ces gestes amples et tranquilles, Monsieur l’ Adjoint à la Kultur
déboule en furie derrière le géant, encadré de quatre miliciens noirauds sous béret-grande
galette.
« Mais que faites- vous là ? Z’avez les autorisations ? Des papiers de l’Administration ? »
Imperturbable, le grand poursuit ses travaux d’écriture, il finit sa tâche. L’adjoint bien encadré
le voit grimper jusque sur le marchepied de la charrette,
Il tente de le retenir avec ses quatre. L’autre s’en fout.
«  Mais où allez – vous ?
-Je remonte au plateau de Claparedes. »
L’adjoint se jette à genoux :
« Seigneur, ô mon dieu, je suis mal barré, je vous supplie, ôtez vite le K de mon titre,
remplacez-le discrètement par un c, un c majuscule si c’est encore possible, sinon tout cela va
mal finir. »
Se redressant, il déchiffre l’inscription murale, encore dégoulinante de fraîcheur.

« Ne vous cochez que pour aimer ».

Tristement, le directeur du C.I.P.M. qui a réapparu par enchantement, par le « Ô » préoccupé,
déclame à son tour :
« Tentative ultime d’énoncer labialement un accent circonflexe dénué de toute voyelle,
performance impossible, seul l’écrit est dans la crudité graphique des choses, bien que l’image
qui démultiplie l’image ait perdu sa valeur séquentielle, et le souffle humain n’a pas de
portée »

Un employé non titulaire du C.N.R.S. qui ne travaille pas ce jour-là mais a oublié ses tickets
de loto et de la mousse à raser dans son laboratoire débarque tout à coup, il brandit fièrement
un objet parlant non identifié :

« Je détiens la preuve irréfutable qu’Arthur Rimbaud a séjourné, non pas à l’hôpital de La
Conception, mais ici, à la Vieille-Charité, sinon comment pouvez-vous expliquer la présence
ici-même, accroché au portail d’entrée depuis plus d’un siècle, de cet accent circonflexe d’une
telle portée poétique et en parfait état de conservation, malgré quelques déchirures de nature
orgasmique ? Seul le grand Arthur a pu le déposer là, et dans sa magnanimité le transmettre
aux générations futures. Je détiens là le testament ultime, préalable à la nouvelle donne
poétique de la fin du XIXème siècle.»
Julien Blaine, qui n’en peut plus de bander sous l’étouffement des liens de raphia, en appelle
aux troupes d’anthropologues et de gardiens de musée, qui, S.D.F. depuis les dernières
restrictions des budgets de la Recherche et de la Culture, et en butte aux restructurations
municipales, squattent la salle du Miroir, avec femmes, enfants et la C.G.T., pour se chauffer
ils ont dû brûler toutes les statuettes et reliques du M.A.A.O.A. Il déclame :
« Il faut organiser un référendum populaire. Faut-il changer de marque de vin rosé ? »
Le peuple assemblé autour de la chapelle médite et décide à l’unanimité de rétablir la
Première République, de chasser l’Austérité, de remplacer les jours fériés catholiques du
calendrier par des fêtes citoyennes laïques et populaires, de planter des vignes en biodynamie
à l’emplacement de la Maison d’Arrêt des Baumettes désaffectée et dans l’attente des futures
vendanges, maintient le vin rosé honni car c’est un vin d’immédiate proximité. Vive la
Blique, vive la Rance, vive l’épicier de quartier.