attention, auteur très sauvage qui mord les chiens méchants et mange les enfants sages. Mais le courage a pu manquer.
Dans le tout début des années 70, grâce à une compil sommaire des pensées du président Mao revisitées par l’anarchisme local accompagnées de la lecture assidue de quelques graffitis sentencieux inscrits par des trublions inconnus sur les murs des chiottes déglingués de la faculté des lettres et des sciences humaines d’Aix en Provence, j’avais réussi à résumer en une seule phrase capitale la pensée stratégique de l’organisation politique qu’avec un ami devenu traître à la cause tout aussitôt j’avais alors créée, et que nous avions baptisée « ultra gauche au goût sauvage ».
Cette pensée stratégique se résumait à : faire la révolution, c’est faire l’amour au peuple en baisant la bourgeoisie.
Que l’on n’y voit qu’une boutade m’éloignerait de ma réalité de l’époque.
Il y avait là, reconnaissance d’un antagonisme réel, et proposition d’une stratégie pour déjouer la toute puissance de l’un sur l’autre. Sortir d’un manichéisme simplificateur, tout en refusant de s’enfermer dans l’un, dire toujours que tout est en deux, construire le camp du peuple en se concentrant sur la réduction de ses contradictions internes, faire qu’il s’aime lui-même et s’authentifie, qu’il découvre en lui sa réelle toute puissance, et de cette force construite dans un calme triomphant anéantisse l’adversaire, berné jusqu’à devoir s’assimiler. L’amour de soi devenait plus efficace que la haine de l’autre. Et nul ne serait convié à confisquer le résultat, jamais acquis, à jamais irrespect parce que fondé sur la joie de vivre au lieu de l’obsession de la mort de l’autre, préalable malheureusement incontournable à toute pensée révolutionnaire officiellement estampillée, plus ou moins professionnelle et tragiquement dans l’erreur.
Faire la révolution, c’est faire l’amour au peuple en baisant la bourgeoisie.
Plus de trente ans après, je m’interroge avec tristesse sur l’actualité d’un tel slogan. J’ai cahoté plus qu’à mon tour et chaque jour vécu a été ancré dans le chambardement de convictions houleuses, et mortes souvent dans un acharnement ou découragement, indifférence et niaiserie ont plus souvent surnagé que courage, lucidité, authenticité. Pourtant ma réponse est nette, claire et sans ambiguïtés : l’urgence politique est toujours de faire l’amour au peuple en baisant la bourgeoisie.
A une nuance près. Aujourd’hui je mets des préservatifs.
Le monde n’a pas profondément changé dans ses structures, il a accéléré de-ci de-là, il a engendrement bifurqué, sans perdre le Nord qu’une minorité de géographes experts lui ont donné comme étant définitivement le sien, il n’a pas accepté d’être désorienté par de minuscules coups d’épingles ou coups d’épée dans l’eau. L’exploitation de l’Homme par l’Homme, la main mise du spectacle marchand sur la vie quotidienne de tout un chacun, la mondialisation qui permet à 1 % de l’Humanité de s’accaparer 99 % des richesses produites par les 99 % d’hommes et de femmes qui eux n’ont que 1 % des richesses matérielles à se partager pour survivre, allez, j’exagère, bien sûr, c’est 2 % contre 98 %, les économistes experts ne me pardonneront jamais cette extravagance, la faiblesse de l’internationalisme et de la solidarité entre les victimes d’un système qui en deviennent complice à force d’aliénation, l’absence de prise de conscience mondiale populaire de la nature de l’oppression qui transforme chaque révolte locale en fait divers pour les uns, en loisirs pour les autres, en passe-temps pour tous, l’éclat toujours aussi brillant de l’argent, l’infinie souffrance et l’infinie humiliation de quelques milliards d’entre nous dans l’indifférence simultanée, voire l’intéressement jouissif de quelques milliers d’autres, la performance financière comme unique critère de réussite de toute expérience humaine, la destruction systématique, le saccage violent de tous les équilibres locaux, individuels, sociétaux, environnementaux, dès qu’ils contrarient le profit et le pouvoir sans partage du petit nombre qui domine la planète, les illusions perdues toujours retrouvées, telles l’énergie constamment renouvelable, inépuisable, du mensonge de la démocratie parlementaire et du mensonge religieux, feux où les meilleurs d’entre nous sont allés brûler leurs ailes pourtant déjà bien abîmées, démocratie républicaine opposée aux totalitarismes comme la condition nécessaire d’un avenir meilleur, livrée sans garantie de résultat et sans service après-vente, démocratie qui nous échappe comme l’aire nous échappe en sortant de nos poumons, religions donnée comme une ouverture éblouissante de joie, de dignité, de paix et de limpidité, alors qu’il ne s’agit le plus souvent que de prisons pour les pauvres, de palais pour les riches et de dieu aux abonnés absents, jusqu’à occulter toute possibilité de pensée morale et de jouissance physique sans entraves, la bouffe est devenue mauvaise, le sexe est mensonge et il n’y’a nulle part d’air pur à respirer, dieu n’est plus que le dernier rempart du machisme et seuls des humoristes rempruntés par le pouvoir et à ce titre autorisés à s’exprimer pourront dire que dieu, elle est peut-être noire, cela doit être utile à ce moment-là pour relancer la consommation d’un produit quelque part dans le monde, ou bien pour assurer la promotion d’un nouveau produit Swingel ou le lancement d’une campagne d’intoxication pour que la population noire américaine augmente de deux pour cent dans les cinq années à venir sa consommation de sauce tomate de marque italienne car chacun sait que jusqu’à présent dieu était romain et mangeait des spaghetti et mon bonheur est truqué, je n’ai plus goût à rien, tout cela est toujours mon menu quotidien et celui de mes contemporains, simplement les mécanismes sont devenus un peu plus opaques, les lieux de pouvoirs un peu plus discrets, un peu plus inaccessibles, les moyens de dissimulation et de manipulation terriblement plus efficaces, voire cyniques et meurtriers, décomplexés de toute référence commune, les méthodes d’abrutissement intellectuel physique des peuples et des personnes, qui par ailleurs auraient pu être éprises de liberté, sont devenus autres redoutables, avec une maîtrise mondiale qui surpasse tout ce qui avait pu être fait jusqu’à présent.
Nous étions quelques uns, dans notre petit pays de France, avec quelques amis étrangers et quelques échos venus d’ailleurs, mais tous terriblement étriqués dans notre être hexagonal, notre presqu’ amour de la patrie que notre absence de lucidité nous faisait voir toujours debout comme un seul Homme, très certainement grâce à nous ou aux nôtres, nous étions Makhno et Voline importés, parce que la guerre d’Espagne chez nous réfugiée, parce que les maquis antifascistes, parce que la bande à Manoukian, parce que 56 en Hongrie, parce que 68 à Prague, parce que quelques espoirs du côté de la guerre d’Algérie, du côté de Guevara et du côté de la formidable résistance de peuple Vietnamien puis de la formidable sagesse du peuple Polonais arc-boutant contre le marxisme d’État, parce que de tous ces faits, parce que de tous ces rêves nous étions quelques uns à vouloir raser les moustaches de Staline, ça a été fait et le monde n’en est pas devenu libre. Puis il a fallu s’occuper de la barbiche de Lénine, c’est fait aussi. Puis le mur de Berlin à abattre ; Mission accomplie. R.A.S. à l’horizon justice, égalité, liberté. Et si par mégarde il t’arrive de botter le cl aux Yankees, tes pieds sont chaussés d’une paire de Nike et après cet effort surhumain tu revisionnes ce que tu viens de faire grâce aux images de CNN qui de toute façon encaissera la mise grâce à toi.
Certains d’entre nous ont même imaginé que les droits de l’Homme, la démocratie parlementaire et l’économie de marché étaient non seulement compatibles mais inséparables, indivisibles, pour ainsi dire promis comme l’horizon indépassable de nos civilisations.
Qui ose dire autre chose est un archeo, à jeter dans la poussière d’un local d’archives au milieu des poils de la moustaches de Staline, de la barbiche de Lénine, et des poils de cul de Bakounine, au milieu des débris rouillés d’une faucille et d’un marteau emballés dans un chiffon parfaitement élimé fait de noir palot et de rouge affadi, le tout sur fond musical issu de multiples disques rayés ou se radotent les refrains crispés d’une internationale matinée d’un chant des partisans à jamais inaudibles.
Pourtant jamis comme aujourd’hui les interets communs des magnats de la finance, des parrains de la mafia du monde, des chefs d’état élus ou autoproclamés, jamais les flux de bénéfices et de pouvoir issus des complexes militaro-industriels, du narcotrafic, des spéculations internationales, de la gestions des 2tas et de leurs services secrets et autres apparats terroristes enturbannés ou ensoutanés de religiosité ou casues et bottes de naionalisme jusqu’à la saoulographie n’ont été aussi étroitement imbriqués, solidaires, pour écraser plus avant les peuples de la Terre dont la soumission est désormais donnée comme définitivement acquise. Les conflits internes de cette superpuissance mondiale ne sont que soubresauts, causes de quelques milliers de morts de ci ou de là ou de catastrophes écologiques mondiales à l’occasion. Ces oppositions ne sont rien face à la division des peuples, elles ne nuisent en rien en la rentabilité du système, bien au contriare elles en sont une composante essentielle et très lucrative.
Jamais dans nos têtes, il n’y a eu autant de murailles infranchissables. Quelques Hommes collectifs depuis trente ans, ont construit des murs à la hauteur sans doute de leurs désespoirs. Des Hommes individuels ont bâti des cathédrales à l’intérieur de leur crâne, mesurées à l’aune de leur souffle, fermées sur leur inconscient. Et les autres n’ont rien fait, et n’ont même pas pensé.
Les Hommes auraient donc oublié de penser. Ils auraient oublié d’agir. Ils se seraient contenté de faire semblant de survivre, intelligence et courage et vertu en hibernation constante.
Il est toujours nécessité impérieuse totalement justifiée de transformer ce monde d’exploiteurs et d’exploités, ce monde de salauds coupables et de salauds innocents, ce monde où le citoyen du monde est toujours aussi fainéant devant sa responsabilité et du monde et de sa propre citoyenneté.
Que signifie alors cette nuance : aujourd’hui je mets des préservatifs ?
Elle signifie, qui sait, que si le monde ne s’est pas transformé dans la bonne direction, s’il n’a pas changé globalement d’orientation, s’il n’a fait que démultiplier ses erreurs et ses errances, qui, sachons le une bonne fois pour toutes, ne conduisent qu’à la guerre, la misère, la violence, la torture et la mort de tous au profit de la délectation morbide de quelques rois salopards qui de toute façon n’y survivront pas, moi, j’ai changé. Quand je mets un préservatif, je signifie au monde que je ne suis plus prêt à mourir pour lui. C’est que je ne suis plus d’accord pour risquer ma peau à transformer le monde. Contrairement à ceux de l’affiche rouge vantés par Aragon, je n’aime pas assez la vie pour avoir envie d’en mourir.
C’est sans doute cela le seul, le vrai, l’unique principe de précaution : sauver sa peau pour aujourd’hui. Penser, mais vivre. J’ai cinquante ans cette année.
Dans l’homme qui rit, Victor Hugo dit à peu près qu’un vieux homme est une ruine pensante. Et il conclut en parlant de son personnage, Ursus : « un vieux homme est une ruine pensante, et il était cette ruine. «
Je suis cette ruine. Encore pour quelques temps, s’il vous plaît monsieur Bush, s’il vous plaît monsieur Poutine, s’il vous plaît monsieur Saddam Hussein, s’il vous plaît monsieur Bouygues, s’il vous plaît monsieur Chirac, s’il vous plaît monsieur Berlusconi, s’il vous plaît monsieur Arafat, s’il vous plaît monsieur Sharon, s’il vous plaît monsieur Bill Gates, s’il vous plaît monsieur Ben Laden.
Vous ê tes de ceux qui dans ce monde sont, certains disent charognards, des requins toujours affamés. Votre appétit de pouvoir et de richesse grignote mon lieu de vie, mon espace vital et contrarie ma vie quotidienne depuis que je suis au monde. J’y reste. J’y reste sans espoir autre que d’enfermer l’espoir dans la boîte des reliques paralysantes de l’idéologie et de ne l’en plus voir ressortie autrement que part des oripeaux du consentement au réel, consentement joyeux et triste, goût immodéré pour la lenteur et la saveur des maturations profonde, lutte à mort contre la nostalgie, la lucidité n’est pas qu’un gouffre, elle est d’abord manière de s’y regarder tomber.
Je fais l’amour au peuple en baisant la bourgeoisie, je mets des préservatifs, je bande à la vie et aux autres et à moi. Ma chute est annoncée ? Elle est en cours. Ma chute est le destin du monde. Dieu pourra essayer de me rattraper par les cheveux. Tout dieu qu’il soit, il n’y parviendra pas. Il y a belle lurette que je suis chauve, et que la Terre n’est qu’une vieille salope portant perruque.
Si je parviens toutefois à me prendre pour un homme d’action, pour un homme vivant, je ne souhaite donc que ma mort annoncée, ma mort programmée soit par un acte parmi d’autres. Parce que, être mort ce n’est pas rien, être mort c’est quelque chose, c’est un état passé passif, et je décide de passer outre, d’être acteur, passeur, saltimbanque dans un au-delà improbable après la comédie de la vie. Toute cette geste désordonnée, ma vie, se résumera donc à cette simple expression :
Cet homme-là a longtemps cru qu’il pourrait faire l’amour au peuple en baisant la bourgeoisie, que le ciel en serait plus pur, i la pris ses précautions, mis une préservatif, il a a pensé jusqu’à sa propre ruine, rien n’y fit, il a mourru bientôt un jour. Parce que faire des pieds de nez à la grammaire et jouer avec les mots est un des rares moyens qui lui aient été donnés ‘être heureux sans faire de mal à son prochain. Ecrire de la belle écriture de son siècle.
Coca-cola a fini par le niquer et microsoft sponsorisera ses obsèques. C’est la déconfiture. Alleluia.
C’est il y a plus de 50 ans que j’ai commencé ces litanies, 20 ans que j’ai arrêté tout ce truc, je ne relis pas, stop. Je suis toujours en vie. Turlututu